Le Petit Vieux Des Batignolles
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Un crime, un policier-enqu?teur et pour finir, un coupable. Classique – mieux – historique, puisque ce roman policier date de la fin du Second Empire; mais aussi un polar, un vrai. M?chinet, dans la grande lign?e des Sherlock Holmes, Hercule Poirot et autres Maigret, attend. Il est patient, M?chinet; il sait qu'il lui suffit de reprendre tranquillement son enqu?te de z?ro pour d?nouer l'?nigme: et donc, d?bonnaire, attentif aux conseils de sa femme, frondeur ? l'encontre des autorit?s sup?rieures, il avance pas ? pas pour d?couvrir qui a tu? 'le petit vieux des Batignolles'.
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Le commissaire de police achevait sa besogne dans la chambre, nous étions, monsieur Méchinet et moi, restés dans le salon, lorsque nous fûmes interrompus par le bruit d’une respiration haletante.
Presque aussitôt, se montra la puissante commère que j’avais aperçue dans le vestibule pérorant au milieu des locataires.
C’était la portière, plus rouge, s’il est possible, qu’à notre arrivée.
– Qu’y a-t-il pour votre service, monsieur? demanda-t-elle à monsieur Méchinet.
– Asseyez-vous, madame, répondit-il.
– Mais, monsieur, c’est que j’ai du monde en bas…
– On vous attendra… je vous dis de vous asseoir.
Interloquée par le ton de monsieur Méchinet, elle obéit. Alors lui, la fixant de ses terribles petits yeux gris:
– J’ai besoin de certains renseignements, commença-t-il, et je vais vous interroger. Dans votre intérêt, je vous conseille de répondre sans détours. Et d’abord, quel est le nom de ce pauvre bonhomme qui a été assassiné?
– Il s’appelait Pigoreau, mon bon monsieur, mais il était surtout connu sous le nom d’Anténor, qu’il avait pris autrefois, comme étant plus en rapport avec son commerce.
– Habitait-il la maison depuis longtemps?
– Depuis huit ans.
– Où demeurait-il avant?
– Rue Richelieu, où il avait son magasin… car il avait été établi, il avait été coiffeur, et c’est dans cet état qu’il avait gagné sa fortune.
– Il passait donc pour riche?
– J’ai entendu dire à sa nièce qu’il ne se laisserait pas couper le cou pour un million.
À cet égard, la prévention devait être fixée, puisqu’on avait inventorié les papiers du pauvre vieux.
– Maintenant, poursuivit monsieur Méchinet, quelle espèce d’homme était ce sieur Pigoreau, dit Anténor?
– Oh! la crème des hommes, cher bon monsieur, répondit la concierge… Il était bien tracassier, maniaque, grigou comme il n’est pas possible, mais il n’était pas fier… Et si drôle, avec cela!… On aurait passé ses nuits à l’écouter, quand il était en train… C’est qu’il en savait de ces histoires! Pensez donc, un ancien coiffeur, qui avait, comme il disait, frisé les plus belles femmes de Paris…
– Comment vivait-il?
– Comme tout le monde… Comme les gens qui ont des rentes, s’entend, et qui cependant tiennent à leur monnaie.
– Pouvez-vous me donner quelques détails?
– Oh! pour cela, je le pense, vu que c’est moi qui avais soin de son ménage… Et cela ne me donnait guère de peine, car il faisait presque tout, balayant, époussetant et frottant lui-même… C’était sa manie, quoi! Donc, tous les jours que le bon Dieu faisait, à midi battant, je lui montais une tasse de chocolat. Il la buvait, il avalait par-dessus un grand verre d’eau, et c’était son déjeuner. Après il s’habillait, et ça le menait jusqu’à deux heures, car il était coquet et soigneux de sa personne plus qu’une mariée. Sitôt paré, il sortait pour se promener dans Paris. À six heures, il s’en allait dîner dans une pension bourgeoise, chez les demoiselles Gomet, rue de la Paix. Après son dîner il courait prendre sa demi-tasse et faire sa fine partie au café Guerbois… et à onze heures il rentrait se coucher. Enfin, il n’avait qu’un défaut, le pauvre bonhomme… Il était porté sur le sexe. Même souvent, je lui disais: «À votre âge, n’avez-vous pas de honte!…» Mais on n’est pas parfait, et on comprend ça d’un ancien parfumeur, qui avait eu dans sa vie des tas de bonnes fortunes…
Un sourire obséquieux errait sur les lèvres de la puissante concierge, mais rien n’était capable de dérider monsieur Méchinet.
– Monsieur Pigoreau recevait-il beaucoup de monde? continua-t-il.
– Très peu… Je ne voyais guère venir chez lui que son neveu, monsieur Monistrol, à qui, tous les dimanches, il payait à dîner chez le père Lathuile.
– Et comment étaient-ils ensemble, l’oncle et le neveu?
– Comme les deux doigts de la main.
– Ils n’avaient jamais de discussions?
– Jamais!… sauf qu’ils étaient toujours à se chamailler à cause de madame Clara.
– Qui est cette madame Clara?
– La femme de monsieur Monistrol, donc, une créature superbe… Défunt le père Anténor ne pouvait la souffrir. Il disait que son neveu l’aimait trop, cette femme, qu’elle le menait par le bout du nez, et qu’elle lui en faisait voir de toutes les couleurs… Il prétendait qu’elle n’aimait pas son mari, qu’elle avait un genre trop relevé pour sa position, et qu’elle finirait par faire des sottises… Même, madame Clara et son oncle ont été brouillés, à la fin de l’année dernière. Elle voulait que le bonhomme prêtât cent mille francs à monsieur Monistrol pour prendre un fonds de bijoutier au Palais-Royal. Mais il refusa, déclarant qu’on ferait de sa fortune ce qu’on voudrait, après sa mort; mais que jusque-là, l’ayant gagnée, il prétendait la garder et en jouir…
Je croyais que monsieur Méchinet allait insister sur cette circonstance, qui me paraissait très grave… point. En vain, je multipliais les signes, il poursuivit:
– Reste à savoir par qui le crime a été découvert?
– Par moi, mon bon monsieur, par moi! gémit la portière. Ah! c’est épouvantable! Figurez-vous que ce matin, sur le coup de midi, comme à l’ordinaire, je monte au père Anténor son chocolat… Faisant le ménage, j’ai une clef de l’appartement… J’ouvre, j’entre, et qu’est-ce que je vois… Ah! mon Dieu!…
Et elle se mit à pousser des cris perçants…
– Cette douleur prouve votre bon cœur, madame, fit gravement monsieur Méchinet… Seulement, comme je suis fort pressé, tâchez de la maîtriser… Qu’avez-vous pensé, en voyant votre locataire assassiné?…
– J’ai dit à qui a voulu l’entendre: c’est son neveu, le brigand, qui a fait le coup pour hériter.
– D’où vous venait cette certitude?… car, enfin, accuser un homme d’un si grand crime, c’est le pousser à l’échafaud…
– Eh! monsieur, qui donc serait-ce?… Monsieur Monistrol est venu voir son oncle hier soir, et quand il est sorti il était près de minuit… même, lui qui me parle toujours, il ne m’a rien dit ni en arrivant ni en s’en allant… Et depuis ce moment, jusqu’à celui où j’ai tout découvert, personne, j’en suis sûre, n’est monté chez monsieur Anténor…
Je l’avoue, cette déposition me confondait.
Naïf encore, je n’aurais pas eu l’idée de poursuivre cet interrogatoire. Par bonheur, l’expérience de monsieur Méchinet était grande, et il possédait à fond cet art si difficile de tirer des témoins toute la vérité.
– Ainsi, madame, insista-t-il, vous êtes certaine que Monistrol est venu hier soir?