Arsene Lupin, gentleman-cambrioleur
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— Voici ce que vous désiriez, Monsieur.
Le banquier hésita un moment, comme s’il avait peur de toucher à ces pages maudites qu’il avait cherchées avec tant d’âpreté. Puis, d’un geste nerveux, il s’en empara.
Auprès de moi j’entendis un gémissement. Je saisis la main de Mme Andermatt : elle était glacée.
Et Daspry dit au banquier :
— Je crois, Monsieur, que notre conversation est terminée. Oh ! pas de remerciements, je vous en supplie. Le hasard seul a voulu que je pusse vous être utile.
M. Andermatt se retira. Il emportait les lettres de sa femme à Louis Lacombe.
— À merveille, s’écria Daspry d’un air enchanté, tout s’arrange pour le mieux. Nous n’avons plus qu’à boucler notre affaire, camarade. Tu as les papiers ?
— Les voilà tous.
Daspry les compulsa, les examina attentivement et les enfouit dans sa poche.
— Parfait, tu as tenu parole.
— Mais…
— Mais quoi ?
— Les deux chèques ?… l’argent ?…
— Eh bien, tu as de l’aplomb, mon bonhomme. Comment, tu oses réclamer !
— Je réclame ce qui m’est dû.
— On te doit donc quelque chose pour des papiers que tu as volés ?
Mais l’homme paraissait hors de lui. Il tremblait de colère, les yeux injectés de sang.
— L’argent… les vingt mille… bégaya-t-il.
— Impossible… j’en ai l’emploi.
— L’argent !…
— Allons, sois raisonnable, et laisse donc ton poignard tranquille.
Il lui saisit le bras si brutalement que l’autre hurla de douleur, et il ajouta :
— Va-t’en, camarade, l’air te fera du bien. Veux-tu que je te reconduise ? Nous nous en irons par le terrain vague, et je te montrerai un tas de cailloux sous lequel…
— Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas vrai !
— Mais oui, c’est vrai. Cette petite plaque de fer aux sept points rouges vient de là-bas. Elle ne quittait jamais Louis Lacombe, tu te rappelles ? Ton frère et toi vous l’avez enterrée avec le cadavre… et avec d’autres choses qui intéresseront énormément la justice.
Varin se couvrit le visage de ses poings rageurs. Puis il prononça :
— Soit. Je suis roulé. N’en parlons plus. Un mot cependant… un seul mot… je voudrais savoir…
— J’écoute.
— Il y avait dans ce coffre, dans le plus grand des deux, une cassette ?
— Oui.
— Quand vous êtes venu ici, la nuit du 22 au 23 juin, elle y était ?
— Oui.
— Elle contenait ?…
— Tout ce que les frères Varin y avaient enfermé, une assez jolie collection de bijoux, diamants et perles, raccrochés de droite et de gauche par lesdits frères.
— Et vous l’avez prise ?
— Dame ! Mets-toi à ma place.
— Alors… c’est en constatant la disparition de la cassette que mon frère s’est tué ?
— Probable. La disparition de votre correspondance avec le major von Lieben n’eût pas suffi. Mais la disparition de la cassette… Est-ce là tout ce que tu avais à me demander ?
— Ceci encore : votre nom ?
— Tu dis cela comme si tu avais des idées de revanche.
— Parbleu ! La chance tourne. Aujourd’hui vous êtes le plus fort. Demain…
— Ce sera toi.
— J’y compte bien. Votre nom ?
— Arsène Lupin.
— Arsène Lupin !
L’homme chancela, assommé comme par un coup de massue. On eût dit que ces deux mots lui enlevaient toute espérance. Daspry se mit à rire.
— Ah ! ça, t’imaginais-tu qu’un M. Durand ou Dupont aurait pu monter toute cette belle affaire ? Allons donc, il fallait au moins un Arsène Lupin. Et maintenant que tu es renseigné, mon petit, va préparer ta revanche. Arsène Lupin t’attend.
Et il le poussa dehors, sans un mot de plus.
⁂
— Daspry, Daspry, criai-je, lui donnant encore, et malgré moi, le nom sous lequel je l’avais connu.
J’écartai le rideau de velours.
Il accourut.
— Quoi ? Qu’y a-t-il ?
— Mme Andermatt est souffrante.
Il s’empressa, lui fit respirer des sels et, tout en la soignant, m’interrogeait :
— Eh bien, que s’est-il donc passé ?
— Les lettres, lui dis-je… les lettres de Louis Lacombe que vous avez données à son mari !
Il se frappa le front.
— Elle a cru que j’avais fait cela !… Mais oui, après tout, elle pouvait le croire. Imbécile que je suis !
Mme Andermatt, ranimée, l’écoutait avidement. Il sortit de son portefeuille un petit paquet en tous points semblable à celui qu’avait emporté M. Andermatt.
— Voici vos lettres, madame, les vraies.
— Mais… les autres ?
— Les autres sont les mêmes que celles-ci, mais recopiées par moi, cette nuit, et soigneusement arrangées. Votre mari sera d’autant plus heureux de les lire qu’il ne se doutera pas de la substitution, puisque tout a paru se passer sous ses yeux…
— L’écriture…
— Il n’y a pas d’écriture qu’on ne puisse imiter.
Elle le remercia, avec les mêmes paroles de gratitude qu’elle eût adressées à un homme de son monde, et je vis bien qu’elle n’avait pas dû entendre les dernières phrases échangées entre Varin et Arsène Lupin.
Moi, je le regardais non sans embarras, ne sachant trop que dire à cet ancien ami qui se révélait à moi sous un jour si imprévu. Lupin ! c’était Lupin ! mon camarade de cercle n’était autre que Lupin ! Je n’en revenais pas. Mais, lui très à l’aise :
— Vous pouvez faire vos adieux à Jean Daspry.
— Ah !
— Oui, Jean Daspry part en voyage. Je l’envoie au Maroc. Il est fort possible qu’il y trouve une fin digne de lui. J’avoue même que c’est son intention.
— Mais Arsène Lupin nous reste ?
— Oh ! plus que jamais. Arsène Lupin n’est encore qu’au début de sa carrière, et il compte bien…
Un mouvement de curiosité irrésistible me jeta sur lui, et l’entraînant à quelque distance de Mme Andermatt :
— Vous avez donc fini par découvrir la seconde cachette, celle où se trouvait le paquet de lettres ?
— J’ai eu assez de mal ! C’est hier seulement, l’après-midi, pendant que vous étiez couché. Et pourtant, Dieu sait combien c’était facile ! Mais les choses les plus simples sont celles auxquelles on pense en dernier.
Et me montrant le sept de cœur :
— J’avais bien deviné que, pour ouvrir le grand coffre, il fallait appuyer cette carte contre le glaive du bonhomme en mosaïque…
— Comment aviez-vous deviné cela ?
— Aisément. Par mes informations particulières, je savais en venant ici, le 22 juin au soir…
— Après m’avoir quitté…
— Oui, et après vous avoir mis par des conversations choisies dans un état d’esprit tel, qu’un nerveux et un impressionnable comme vous devait fatalement me laisser agir à ma guise, sans sortir de son lit.
— Le raisonnement était juste.
— Je savais donc, en venant ici, qu’il y avait une cassette cachée dans un coffre à serrure secrète, et que le sept de cœur était la clef, le mot de cette serrure. Il ne s’agissait plus que de plaquer ce sept de cœur à un endroit qui lui fût visiblement réservé. Une heure d’examen m’a suffi.
— Une heure !
— Observez le bonhomme en mosaïque.
— Le vieil empereur ?
— Ce vieil empereur est la représentation exacte du roi de cœur de tous les jeux de cartes, Charlemagne.
— En effet… Mais pourquoi le sept de cœur ouvre-t-il tantôt le grand coffre et tantôt le petit ? Et pourquoi n’avez-vous ouvert d’abord que le grand coffre ?
— Pourquoi ? mais parce que je m’obstinais toujours à placer mon sept de cœur dans le même sens. Hier seulement je me suis aperçu qu’en le retournant, c’est-à-dire en mettant le septième point, celui du milieu, en l’air au lieu de le mettre en bas, la disposition des sept points changeait.