Monsieur Lecoq
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Le pr?curseur, fran?ais, de Sherlock Holmes…
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Mais ce n’était qu’un de ces «bans» comme en battent les crieurs de village pour amasser le monde.
Aussitôt après une voix s’éleva, claire et perçante, qui arrivait très distincte à M. Lacheneur.
Elle disait:
«C’est pour vous faire assavoir que les autorités de Montaignac promettent de donner une récompense de vingt mille livres – vous m’entendez bien, vous autres, je dis deux mille pistoles! – à qui livrera le nommé Lacheneur, mort ou vif. Vous comprenez, n’est-ce pas?… Il serait mort que la gratification serait la même: vingt mille francs!… On paiera comptant… en or.»
D’un bond, Lacheneur s’était dressé, fou d’épouvante et d’horreur…
Lui qui s’était cru à bout d’énergie, il trouva des forces surnaturelles pour courir, pour fuir…
Sa tête était mise à prix… Cette horrible pensée le transportait de cette frénésie, qui, à la fin, rend si redoutables les bêtes traquées.
De tous les villages, autour de lui, il lui semblait entendre monter des roulements de tambour et la voix du crieur publiant l’infâme récompense.
Où aller, maintenant, qu’il était comme un vivant appât offert à la trahison et à la cupidité!… À quelle créature humaine se confier!… À quel toit demander un abri!…
Et mort, il vaudrait encore une fortune.
Quand il serait tombé d’inanition et d’épuisement sous quelque buisson, quand il y serait crevé comme un chien après la lente agonie de la faim, son corps vaudrait toujours vingt mille francs.
Et celui qui trouverait son cadavre se garderait bien de lui donner la sépulture.
Il le chargerait sur une charrette et le porterait à Montaignac.
Il irait droit aux autorités et dirait:
«Voici le corps de Lacheneur… comptez l’argent de la prime!…»
Combien de temps et par quels chemins marcha ce malheureux, lui-même n’a pu le dire.
Mais sur les deux heures, comme il traversait les hautes futaies de Charves, ayant aperçu deux hommes qui s’étaient levés à son approche et qui fuyaient; il les appela d’une voix terrible:
– Eh! vous autres!… voulez-vous mille pistoles chacun?… Je suis Lacheneur.
Ils revinrent sur leurs pas en le reconnaissant, et lui-même reconnut deux des conjurés, des métayers dont les familles étaient aisées et qu’il avait eu bien de la peine à enrôler.
Ces hommes avaient un demi-pain dans un bissac et une gourde pleine d’eau-de-vie.
– Prenez… dirent-ils au pauvre affamé.
Ils s’étaient assis près de lui, sur l’herbe, et pendant qu’il mangeait, ils lui disaient leurs infortunes. Ils avaient été signalés, on les recherchait, leur maison était pleine de soldats. Mais ils espéraient gagner les Etats sardes, grâce à un guide qui les attendait à un endroit convenu…
Lacheneur leur tendit la main.
– Je suis donc sauvé, dit-il. Faible et blessé comme je le suis, je périssais si je restais seul…
Mais les deux métayers ne prirent pas la main qui leur était tendue.
– Nous devrions vous abandonner, dit le plus jeune d’un air sombre, car c’est vous qui nous perdez, qui nous ruinez… Vous nous avez trompés, monsieur Lacheneur!…
Il n’osa pas protester, tant le juste sentiment de ses fautes l’écrasait.
– Bast!… qu’il vienne tout de même, fit l’autre paysan, avec un regard étrange.
Ils partirent, et le soir même, après neuf heures de marche, dont cinq de nuit, à travers les montagnes, ils franchirent la frontière…
Mais cette longue route ne s’était pas faite sans d’amers reproches, sans les plus cruelles récriminations.
Pressé de questions par ses compagnons, l’esprit affaissé comme le corps, Lacheneur avait fini par reconnaître l’inanité des promesses dont il enflammait ses complices. Il reconnut qu’il avait dit que Marie-Louise, le roi de Rome et tous les maréchaux de l’Empire devaient se trouver à Montaignac, et c’était là un monstrueux mensonge. Il confessa qu’il avait donné le signal du soulèvement sans chance de succès, sans moyens d’action, en s’en remettant presque au hasard. Enfin, il avoua qu’il n’y avait de réel que sa haine, la haine implacable qu’il avait vouée aux Sairmeuse…
Dix fois pendant ces terribles aveux, les paysans qui soutenaient la marche de Lacheneur avaient été sur le point de le pousser dans un des précipices qu’ils côtoyaient.
– Ainsi, pensaient-ils, frémissants de rage, c’est pour ses haines à lui qu’il a fait battre et massacrer le monde, qu’il nous ruine et qu’il nous perd… on verra!
Les fugitifs arrivaient à la première maison qu’ils eussent vue sur le territoire sarde.
C’était une auberge isolée, bâtie à une lieue en avant du petit bourg de Saint-Jean-de-Coche, et tenue par un nommé Balstain.
Ils frappèrent, sans s’inquiéter de l’heure – il était plus de minuit. On leur ouvrit et ils demandèrent qu’on leur préparât à souper.
Mais Lacheneur, épuisé par la perte de son sang, brisé par l’effort d’une marche si pénible, déclara qu’il ne souperait pas.
Il se jeta sur un grabat, dans la seconde pièce de l’auberge, et s’endormit…
C’était, depuis qu’ils avaient rencontré Lacheneur, la première fois que les deux métayers se trouvaient seuls et pouvaient échanger leurs impressions.
La même idée leur était venue.
Ils avaient pensé qu’en livrant Lacheneur ils obtiendraient leur grâce.
Certes, ils n’eussent, pour rien au monde, consenti à accepter un sou de l’argent promis au traître, mais échanger leur liberté et leur vie contre la vie et la liberté de Lacheneur ne leur semblait pas une trahison…
– D’ailleurs, il nous a trompés, se disaient-ils.
Ils décidèrent donc que dès qu’ils auraient soupé ils iraient à Saint-Jean-de-Coche, prévenir les gendarmes piémontais.
Mais ils devaient être devancés.
Ils avaient parlé assez haut, et un homme les avait entendus, qui avait appris dans la journée quelle prime splendide était promise à la délation.
Cet homme était l’aubergiste Balstain.
En apprenant le nom de l’hôte qui dormait sans défiance sous son toit, le vertige de l’or le saisit. Il ne dit qu’un mot à sa femme et s’échappa par une fenêtre pour courir aux gendarmes.
Depuis une demi-heure il était parti, quand les métayers sortirent.
Pour monter leur courage jusqu’à l’abominable action qu’ils allaient commettre, les malheureux avaient beaucoup bu en soupant.