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Arsene Lupin, gentleman-cambrioleur

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Arsene Lupin, gentleman-cambrioleur
Название: Arsene Lupin, gentleman-cambrioleur
Автор: Leblanc Maurice
Дата добавления: 16 январь 2020
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— La métamorphose a été progressive. Ils n’ont pu en remarquer l’évolution quotidienne.

— Mais Baudru Désiré ?

— Baudru existe. C’est un pauvre innocent, que j’ai rencontré l’an dernier, et qui vraiment n’est pas sans offrir avec moi une certaine analogie de traits. En prévision d’une arrestation toujours possible, je l’ai mis en sûreté, et je me suis appliqué à discerner dès l’abord les points de dissemblance qui nous séparaient, pour les atténuer en moi autant que cela se pouvait. Mes amis lui ont fait passer une nuit au Dépôt, de manière qu’il en sortît à peu près à la même heure que moi, et que la coïncidence fût facile à constater. Car, notez-le, il fallait qu’on retrouvât la trace de son passage, sans quoi la justice se fût demandé qui j’étais. Tandis qu’en lui offrant cet excellent Baudru, il était inévitable, vous entendez, inévitable qu’elle sauterait sur lui, et que malgré les difficultés insurmontables d’une substitution, elle préférerait croire à la substitution plutôt que d’avouer son ignorance.

— Oui, oui, en effet, murmura Ganimard.

— Et puis, s’écria Arsène Lupin, j’avais entre les mains un atout formidable, une carte machinée par moi dès le début : l’attente où tout le monde était de mon évasion. Et voilà bien l’erreur grossière où vous êtes tombés, vous et les autres, dans cette partie passionnante que la justice et moi nous avions engagée, et dont l’enjeu était ma liberté : vous avez supposé encore une fois que j’agissais par fanfaronnade, que j’étais grisé par mes succès ainsi qu’un blanc-bec. Moi, Arsène Lupin, une telle faiblesse ! Et, pas plus que dans l’affaire Cahorn, vous ne vous êtes dit : « Du moment qu’Arsène Lupin crie sur les toits qu’il s’évadera, c’est qu’il a des raisons qui l’obligent à le crier. » Mais, sapristi, comprenez donc que, pour m’évader… sans m’évader, il fallait que l’on crût d’avance à cette évasion, que ce fût un article de foi, une conviction absolue, une vérité éclatante comme le soleil. Et ce fut cela, de par ma volonté. Arsène Lupin s’évaderait, Arsène Lupin n’assisterait pas à son procès. Et quand vous vous êtes levé pour dire : « cet homme n’est pas Arsène Lupin » il eût été surnaturel que tout le monde ne crût pas immédiatement que je n’étais pas Arsène Lupin. Qu’une seule personne doutât, qu’une seule émît cette simple restriction : « Et si c’était Arsène Lupin ? » à la minute même, j’étais perdu. Il suffisait de se pencher vers moi, non pas avec l’idée que je n’étais pas Arsène Lupin, comme vous l’avez fait vous et les autres, mais avec l’idée que je pouvais être Arsène Lupin, et malgré toutes mes précautions, on me reconnaissait. Mais j’étais tranquille. Logiquement, psychologiquement, personne ne pouvait avoir cette simple petite idée.

Il saisit tout à coup la main de Ganimard.

— Voyons, Ganimard, avouez que huit jours après notre entrevue dans la prison de la Santé, vous m’avez attendu à quatre heures, chez vous, comme je vous en avais prié ?

— Et votre voiture pénitentiaire ? dit Ganimard, évitant de répondre.

— Du bluff ! Ce sont mes amis qui ont rafistolé et substitué cette ancienne voiture hors d’usage et qui voulaient tenter le coup. Mais je le savais impraticable sans un concours de circonstances exceptionnelles. Seulement j’ai trouvé utile de parachever cette tentative d’évasion et de lui donner la plus grande publicité. Une première évasion audacieusement combinée donnait à la seconde la valeur d’une évasion réalisée d’avance.

— De sorte que le cigare…

— Creusé par moi ainsi que le couteau.

— Et les billets ?

— Écrits par moi.

— Et la mystérieuse correspondante ?

— Elle et moi nous ne faisons qu’un. J’ai toutes les écritures à volonté.

Ganimard réfléchit un instant et objecta :

— Comment se peut-il qu’au service d’anthropométrie, quand on a pris la fiche de Baudru, on ne se soit pas aperçu qu’elle coïncidait avec celle d’Arsène Lupin ?

— La fiche d’Arsène Lupin n’existe pas.

— Allons donc !

— Ou du moins elle est fausse. C’est une question que j’ai beaucoup étudiée. Le système Bertillon comporte d’abord le signalement visuel — et vous voyez qu’il n’est pas infaillible — et ensuite le signalement par mesures, mesure de la tête, des doigts, des oreilles, etc. Là-contre rien à faire.

— Alors ?

— Alors il a fallu payer. Avant même mon retour d’Amérique, un des employés du service acceptait tant pour inscrire une fausse mesure au début de ma mensuration. C’est suffisant pour que tout le système dévie, et qu’une fiche s’oriente vers une case diamétralement opposée à la case où elle devait aboutir. La fiche Baudru ne devait donc pas coïncider avec la fiche Arsène Lupin.

Il y eut encore un silence, puis Ganimard demanda :

— Et maintenant, qu’allez-vous faire ?

— Maintenant, s’exclama Lupin, je vais me reposer, suivre un régime de suralimentation et peu à peu redevenir moi. C’est très bien d’être Baudru ou tel autre, de changer de personnalité comme de chemise et de choisir son apparence, sa voix, son regard, son écriture. Mais il arrive que l’on ne s’y reconnaît plus dans tout cela et que c’est fort triste. Actuellement j’éprouve ce que devait éprouver l’homme qui a perdu son ombre. Je vais me rechercher… et me retrouver.

Il se promena de long en large. Un peu d’obscurité se mêlait à la lueur du jour. Il s’arrêta devant Ganimard.

— Nous n’avons plus rien à nous dire, je crois ?

— Si, répondit l’inspecteur, je voudrais savoir si vous révélerez la vérité sur votre évasion… L’erreur que j’ai commise…

— Oh ! personne ne saura jamais que c’est Arsène Lupin qui a été relâché. J’ai trop d’intérêt à accumuler autour de moi les ténèbres les plus mystérieuses, pour ne pas laisser à cette évasion son caractère presque miraculeux. Aussi, ne craignez rien, mon bon ami, et adieu. Je dîne en ville ce soir, et je n’ai que le temps de m’habiller.

— Je vous croyais si désireux de repos !

— Hélas ! il y a des obligations mondaines auxquelles on ne peut se soustraire. Le repos commencera demain.

— Et où dînez-vous donc ?

— À l’ambassade d’Angleterre.

LE MYSTÉRIEUX

VOYAGEUR

La veille, j’avais envoyé mon automobile à Rouen par la route. Je devais l’y rejoindre en chemin de fer, et, de là, me rendre chez des amis qui habitent les bords de la Seine.

Or, à Paris, quelques minutes avant le départ, sept messieurs envahirent mon compartiment ; cinq d’entre eux fumaient. Si court que soit le trajet en rapide, la perspective de l’effectuer en une telle compagnie me fut désagréable, d’autant que le wagon, d’ancien modèle, n’avait pas de couloir. Je pris donc mon pardessus, mes journaux, mon indicateur, et me réfugiai dans un des compartiments voisins.

Une dame s’y trouvait. À ma vue, elle eut un geste de contrariété qui ne m’échappa point, et elle se pencha vers un monsieur planté sur le marchepied, son mari, sans doute, qui l’avait accompagnée à la gare. Le monsieur m’observa et l’examen se termina probablement à mon avantage, car il parla bas à sa femme, en souriant, de l’air dont on rassure un enfant qui a peur. Elle sourit à son tour, et me glissa un œil amical, comme si elle comprenait tout à coup que j’étais un de ces galants hommes avec qui une femme peut rester enfermée deux heures durant, dans une petite boîte de six pieds carrés, sans avoir rien à craindre.

Son mari lui dit :

— Tu ne m’en voudras pas, ma chérie, mais j’ai un rendez-vous urgent, et je ne puis attendre.

Il l’embrassa affectueusement, et s’en alla. Sa femme lui envoya par la fenêtre de petits baisers discrets, et agita son mouchoir.

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